L’amour que nous avons pour le temps

Dans le cadre d’art souterrain, j’ai proposé une performance déambulatoire dans laquelle j’ai parcouru le vaste espace au Centre des Congrès (Montréal). Cette performance s’est déroulé en trois segments narratifs (trois tableaux performatifs) : une montée, un suspens et une conclusion. J’ai exploré la thématique de la chronométrie sous l’angle de l’audace de vivre en « slow » temporalité.

Descriptif

En raison du contexte de la COVID-19 (2021), nous sommes confrontés à modifier notre vitesse, à mettre sur pause notre existence. De là, émerge un chapitre inédit pour les créateurs qui traversent une situation hors norme et qui veulent inventer de nouvelles manières d’exister. Le défi pour cette performance était de forger un haïku performatif : une approche artistique qui opte pour une poésie visuelle vivante, une cérémonie qui vise la conception d’un poème en tant qu’événement. Plus précisément, il s’agit d’un questionnement sur l’amour que nous avons pour le temps.

Dans le premier segment narratif, il s’agissait de faire sentir aux spectateurs que mes motivations de création s’ancrent malgré tout dans un récit positif. J’ai fait plusieurs manipulations et actions avec des objets hétéroclites (que je ne décriverai pas ici) pour caractériser l’amour que j’ai pour le temps. Cela était symbolisé par des paysages visuels (petites installations éphémères dans l’espace) et des rendez-vous avec moi-même et mes collègues.

Dans le deuxième segment, j’ai essayé de transmettre aux spectateurs que les événements inattendus amènent à la surprise. En d’autres mots, il était temps de tirer avantage de cette pandémie afin de transformer nos habitudes, notre consommation, et d’habiter le réel dans tous les secteurs de la société. Le conte performatif que j’ai suggéré dans cette partie était articulé par des gestes somptueux.

Dans le dernier segment, j’ai fait faire advenir la dimension de mon imaginaire. Il s’agisait d’édifier des images qui s’expriment par des impressions éblouissantes. J’ai développé une série de gestes pour amalgamer ma vision sur l’instabilité du temps. Pour éveiller ma fiction sur la slow temporalité, j’ai présenté un haïku sur une fiche. Le glissement de la littérature à l’art vivant a permis de mettre en mouvement une narrativité (des liens essentiels pour assimiler le récit performatif).

Ainsi, les trois segments explorent l’« être » par rapport à ce qui arrive. Mon attitude autopoïétique se veut ouverte à l’incertitude, à l’hésitation et à la dérive. Se permettre de tout remettre en question fait éclore une audace de vivre.

Les collaborateurs dans cette performance étaient d’anciens étudiants du cégep Marie-Victorin. C’était leur première performance publique sans public.

Janna Elizbarova, Fabio Lima, Océane Girard, Gabriel Labonté Pelletier, Aïda Yonis Eugene, Maxime Côté, Zachary Santagata

Vidéo:

 

 

Entrevue:

 

Pourquoi travailler avec des étudiants?
J’ai décidé de favoriser l’expérience de terrain comme pédagogie pour transmettre le quotidien des créateurs. Pour éveiller les étudiants aux réalités du questionnement de l’artiste, j’ai mis en application une autre approche heuristique. En mars 2021, j’ai invité sept élèves à prendre part à l’une de mes performances professionnelles dans le cadre de l’événement Art Souterrain à Montréal. Je voulais qu’ils participent collectivement à toutes les étapes d’un processus de création en vivant les doutes, les étonnements, les difficultés et les échecs dans le ici et maintenant. Je désirais inculquer que l’artiste navigue constamment en terres inconnues. Il est soumis à ce que j’appelle un « scénario ouvert », c’est-à-dire qu’il travaille avec des fragments d’idées préfabriquées qui sont sans cesse confrontés à l’indéterminé. Il doit alors trouver des alternatives pour résoudre ses problématiques. Malgré les méandres engendrés, les étudiants ont assimilé que l’artiste s’acharne du mieux qu’il peut pour livrer un projet à terme dans lequel il se respecte et est satisfait. C’est sa responsabilité envers ses recherches pour honorer sa voie, son rêve d’artiste. Cela demande des efforts, de l’énergie et de la patience. En leur faisant vivre cette expérience de terrain, les étudiants ont mieux perçu le métier qu’ils vont entreprendre ainsi que les embûches à surmonter.  Au passage, ils ont acquis également de la maturité à travers cet exercice de travail.

Pour trouver dans l’art l’expression juste qui devient une mission, une vocation pour davantage se connaître, il est dans l’intérêt des étudiants de participer à des expériences de terrain telles que des expositions collectives et des manifestations devant un public lors de sa formation collégiale en arts visuels. Ces accomplissements sont des passeports promis à la découverte, des cérémonies de passage qui marquent le droit à la création. À l’exception de l’intercollégial en sculpture sur neige ou de l’intercollégial en arts visuels, les possibilités d’exhiber ses oeuvres est relativement rare vu leurs manques d’expertise. Pour cette raison, ils ont besoin d’être encadrés par des enseignants motivés qui les guide dans ce type d’activités. Je crois qu’il est essentiel pour le développement de l’étudiant de provoquer des expériences de terrain pour rendre réalité leurs rêves d’artistes.

Voici une vidéo de Gabriel Labonté Pelletier qui explique son expérience à participer à un tel projet d’envergure.