Congrès Asie Pacifique 2015 (Paris, France)
GIS Asie et le Réseau Asie et Pacifique (CNRS)
Proposition d’atelier en art et théorie de l’Histoire de l’art contemporaine
Corps qui agissent dans l’art-action en Asie
Thématiques :
– Contacts interculturels
– La culture, les arts et la littérature
Organisé par :
Mildred Durán Gamba
Chercheuse, historienne de l’art et commissaire d’exposition indépendante
Docteure en Histoire de l’art – Université Paris I Panthéon-Sorbonne
et
Francis O’Shaughnessy
Artiste et commissaire d’événements de performance
Doctorant à l’Université du Québec à Montréal
PROPOSITION D’ATELIER
Des pratiques expérimentales radicales et complexes qui abolissaient les limites entre l’art, l’objet artistique et le public s’annoncent avec les mouvements d’avant-garde du XXe siècle[1] et s’amplifient dans les années 1960 et 1970. Le corps de l’artiste ou d’autrui devient ainsi une « nouvelle » matière insoupçonnée de création qui s’insère dans la vie en établissant de nouveaux rapports spatio-temporels dans le présent. Une articulation entre le contexte et les différents domaines qui accueille l’acte, s’avère déterminante dans la construction symbolique et est l’un des éléments indiscutables pour les artistes de la performance. Lorsque l’artiste Chumpon Apisuk, figure incontestable de l’art action[2] du Sud-Est asiatique, fait référence à sa pratique, il signale :
« Vous êtes un corps politique, vous pouvez être provocateur, vous pouvez défier comme vous le souhaitez, mais en prenant en considération les gens et le lieu dans lequel l’action évolue. L’art est une question de liberté d’effectuer du non-sens, la liberté sans armes»[3].
Mais quelles sont les démarches, les mécanismes opérés et les stratégies que les artistes de l’art action de cette région développent par rapport aux contextes et périodes historiques spécifiques ? Pouvons-nous identifier des particularités à ces activités hétérogènes? Quelles sont les raisons qui poussent ces artistes à privilégier la performance comme moyen d’expression ? Peut-on déceler des traits communs ? Nous tenterons de répondre à ces questions en partant des manifestations complètement marginales de Zero Jingen qui faisaient des irruptions en milieu urbain portées sur l’érotisme au Japon dans les années 1960 ; en passant par les propositions concernant les corps dans le cinéma de contestation expérimental de cette même période, pour arriver finalement, aux activités actuelles de la performance dans le Sud-Est asiatique. Élargir les notions liées à la représentation des corps, à l’altérité et à la pratique de la performance, avec les études et les écrits des penseurs et artistes est également l’un de nos impératifs dans la présente proposition d’atelier.
PROPOSITION DE COMMUNICATIONS
Zero Jigen, anarchisme du corps et stratégies de l’obscène, une contre-culture du happening interventionniste dans le Japon de la croissance, 1960-1972
– Bruno Fernandes
Présentation de Zero Jigen (dimension zéro), le plus important groupe de happening du courant antiart, qui opéra de manière intensive de 1960 à 1972 à Tokyo et dans tout le Japon, au moyen de rituels provocateurs, les « gishiki ». Sa guérilla contre-culturelle « arterroriste » consistait en une praxis de l’obscénité dans l’espace public d’un pays en « surcroissance » qui déniait ses réalités sociétales (violente crise politique, pollutions.
Malgré cette intensité créative (300 happenings), Zero Jigen, contemporain du butô de Hijikata Tatsumi et de Gutaï, fut méprisé par la critique au Japon et demeure inconnu ailleurs. Occultation durable confirmant la validité de ses actions improductives reniant formes esthétiques, castes artistiques et parasitant la construction de l’image moderniste du capitalisme japonais. Le Refus de Zero Jigen est une « pornologie » subversive passant par « le corps » qui, à la différence de nos conceptions, est « désindividualisé », « dépotentialisé », « désublimé » et radicalement utopique.
En soulignant le contexte historique dans lequel opéra Zero Jigen, nous montrerons l’importance de ce groupe qui bouscula les stéréotypes d’harmonie sociale et de sérénité esthétique trop souvent attachés à l’objet Japon. Un cas unique et durable de dissidence au pays du consensus.
Les Festivals de performance en Asie : Réseaux, dialogues, rencontres
– Mildred Durán Gamba
Depuis quelques années, nous assistons, dans le monde entier, à un engouement pour l’art-action. Une prolifération frénétique d’événements a eu lieu depuis spécialement les années 2000, où plusieurs manifestations consacrées à la performance voient le jour dans différentes régions du monde. La plupart de ces manifestations ont été créées par des artistes baignant dans cette discipline[4]. En Asie les processus de création, de diffusion et d’échange des Festivals de Performance trouvent une dynamique sans précédente dans le reste du monde[5]. Avec la banalisation de ces pratiques nous pourrions nous demander si elles n’auraient pas perdu leur aura transgressive et marginale, présentes désormais dans toutes les grandes expositions institutionnelles, les actions performatives ont gagné leur droit d’entrée. Ceci est également palpable au rang académique avec la création de différents centres de recherche consacrés à l’étude de ce sujet dans le monde entier. Quels ont été les contextes et les motivations qui ont poussé la création et l’établissement de différents festivals consacrés à l’art action dans la région ? Quel est le poids relevant de ces expériences dans le dialogue et la coopération Sud-Sud ? Quelles sont les spécificités dans chaque contexte ? Réussissent-ils à trouver une continuité dans le temps ? Quels sont les apports au sein de la pratique ou de l’historicisation de cette discipline ? Pouvons nous concevoir ces efforts comme tactiques œuvrant pour la pérennisation de l’instant éphémère et sa conservation ? Nous tenterons d’élucider ces questions.
La souffrance comme moyen d’accusation et les défenseurs de la créativité de l’Extrême-Orient
– Francis O’Shaughnessy
Du point de vue d’un artiste occidental qui est allé à maintes reprises en Extrême-Orient, les motivations de création d’artistes de l’Asie de l’Est et du Sud-Est qui se nourrissent trop souvent du concept de la souffrance en performance, sont analysées. En nous penchant sur des œuvres précises de l’histoire de l’art, nous tenterons de comprendre pourquoi le performeur subversif persiste à faire des déclarations d’amour aux mouvements dépressifs de notre époque; ce qui le confine à diffuser dans sa création artistique son insatisfaction permanente par rapport aux injustices historiques, économiques, politiques et socioculturelles. Pour d’autres, l’art ne se limite pas au discours pessimiste de la vie, c’est pour cette raison qu’ils cherchent à s’éloigner du modèle dominant de la souffrance. Par l’intermédiaire de ses actions, ils suggèrent une « modification » dans la logique de l’écosystème de la performance afin de générer un art proactif. Défenseurs de la créativité, ces artistes s’efforcent de contribuer à la « resingularisation » du processus identitaire de la performance en adoptant de nouvelles possibilités d’existence (motivations, comportements et manières d’être). Ils essaient d’introduire une approche performative qui transmet la volonté de vivre des expériences qui ne tombent pas dans l’imitation des images que la société nous impose.
L’art performance dans le Sud-Est asiatique : Mission impossible
– Chumpon Apisuk
C’est à l’Institut Bhirasri d’Art Modern de Bangkok (Singapour, 1986) que Chumpon Apisuk introduit l’art action. Malgré le contrôle strict vis-à-vis les mouvements du peuple, les actions de rue de Tang Da Wu inspirent les artistes émergents à ouvrir de nouvelles avenues à l’art performance dans le Sud-Est asiatique. À la même période, Dadang Christanto, Henri Dono et Arahmaiani qui détiennent déjà une notoriété dans les festivals internationaux indonésiens participent au mouvement d’art action qu’on appelle aujourd’hui la Communauté économique d’ASEAN. Depuis les années 1970, les mouvements de performance actifs (Indonésie, Philippines, Singapour, Myanmar et Thaïlande) sont comme un front politique. Notre analyse porte sur les différents processus d’artistes qui ont développé des stratégies expérimentales au cours des dernières décennies. Cette étude présente des groupes de performance de différents pays d’Asie qui n’ont pas été soutenus par un quelconque système politique.
NOTICES BIOGRAPHIQUES
Chumpon Apisuk, artiste
Figure majeure de l’art action du Sud-Est asiatique qui développe depuis les années 1970 une proposition singulière très politique et contestataire. Sa formation artistique commence en Thaïlande et se poursuit à Boston (États-Unis). Face au vide institutionnel et au manque de budget dans son pays, Chumpon Apisuk est à la genèse de Concrète House à Bangkok, qu’il fonde avec sa femme en 1993, et du festival de performance ASIATOPIA qu’il crée et dirige depuis 1998. Aujourd’hui, cet événement est une référence dans le continent asiatique. Ses écrits sur l’art et la politique en Thaïlande, ou sur la performance au Sud-Est asiatique ont été publiés dans différents magazines spécialisés. Il a enseigné à l’Université Thammasat où il donnait le cours « Art et communauté », cours qui peut synthétiser l’esprit de sa pratique artistique.
Bruno Fernandes
Chercheur indépendant sur les avant-gardes et contre-cultures du Japon du XXe siècle arts performatifs, actionnismes, extrémismes.
Ancien des Langues’ O (Inalco) spécialisé en indonésien et japonais. C’est par une expérience personnelle de terrain, comme musicien-improvisateur (percussions), au contact de l’« underground » japonais (free rock, noise, butô, performance) qu’il s’engage dans une recherche sur l’histoire des contre-cultures japonaises. Il collabore depuis de nombreuses années avec des artistes japonais indépendants, en Europe et au Japon et participe à des festivals de performances comme Perspective Emotion de Mukai Chi’é à Tokyo et l’organise par deux fois hors du Japon, à Paris.Organise et participe à des improvisations mixed-media entre artistes japonais à Tokyo en 2010, lors d’une Résidence art / recherche allouée par l’Institut Français. Publie aux Presses du réel en 2013 la première monographie sur le groupe de happening interventionniste japonais des années 1960, Zero Jigen. Il participe au groupe de recherches du CEJ / Inalco animé par Michael Lucken sur les années 1960 au Japon. Depuis 2013, il dirige aux Presses du réel la collection Délashiné, consacrée aux courants contre-culturels japonais du XXe siècle, à laquelle participe le philosophe Uno Kuniichi (Rikkyô University) et l’historien d’art moderne japonais Michael Lucken (Inalco). Actuellement, il prépare une monographie du musicien rock extrémiste Haino Keiji. Il a également traduit la thèse inédite de Kurihara Nanako sur le butô de Hijikata Tatsumi, ces deux ouvrages paraîtront en 2015 dans le cadre de la collection Délashiné.
Mildred Durán Gamba
Chercheur en histoire de l’art contemporain, critique d’art et commissaire d’exposition indépendante
D’origine colombienne, elle est chercheuse, critique d’art et commissaire d’exposition indépendante. Elle est titulaire d’un doctorat en histoire de l’art de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, consacré aux expressions de violence dans l’art contemporain en Amérique latine.
Elle s’intéresse aux rapports entre l’art, la société, la culture, la politique et l’éthique, aux pratiques éphémères, aux artistes de l’art action, à l’histoire de la performance et ses représentations, ainsi qu’aux pratiques curatoriales. Elle a participé à la mise en œuvre de plusieurs expositions dont Au-delà du spectacle, Les années Pop et Jean Dubuffet au Centre Georges-Pompidou. Auteure d’articles parus entre autres dans Les cahiers du CNAM, Inter art actuel, Les publications de la Sorbonne et Nos contemporains, elle a donné de nombreuses conférences sur la production des artistes contemporains latino-américains. En 2012 elle est coéditrice du numéro 122 des Cahiers du Mnam « Mondialisées, globalisées, contemporaines, pratiques et écritures dans l’art aujourd’hui ».
En 2013, son projet de recherche, Au-delà de l’instant. Le geste comme expérience sémiologique : quelques pratiques et théories des artistes de l’art action extra-occidental a été sélectionné par le Centre national des arts plastiques (CNAP), du ministère de la Communication et de la Culture français, dans le cadre du soutien aux auteurs, aux théoriciens et aux critiques d’art. Actuellement, elle poursuit sa recherche dans différentes régions, très récemment à la Rencontre internationale d’art performance de Québec, Canada (septembre 2014) et à ASIATOPIA Bangkok, Chiang Mai, Thaïlande (novembre 2014).
Francis O’Shaughnessy
Artiste, commissaire québécois (Canada) en arts visuels et doctorant à l’Université du Québec à Montréal
Depuis 2002, il a réalisé plus de 120 performances dans 22 pays d’Europe, d’Asie et des Amériques. Ses recherches interrogent le haïku performatif, une approche artistique qui revendique un retour en force de l’amour comme prolongement de soi. Il a acquis une maturité et une notoriété qui lui ont permis de présenter des conférences, de guider des artistes aux niveaux collégial et universitaire et de diriger des ateliers théorico-pratiques sur l’art action au Québec et à l’étranger. Depuis 2007, il a été directeur artistique de 20 événements d’envergure dont Art Nomade, rencontre internationale d’art performance au Saguenay. Il a écrit dans les revues spécialisées en art : Inter, art actuel, Zone occupée (Québec), Ligeia (France), Performatus (Brésil). Actuellement, il est doctorant en études et pratiques des arts à l’Université du Québec à Montréal.
[1] Futurisme italien et russe, dada, etc. Ces pratiques s’impliquent et s’insèrent dans le réel en voulant rompre avec la rigidité du support de l’œuvre d’art.
[2] Selon le théoricien Québécois Richard Martel, il est préférable d’employer le terme art action plutôt que performance pour considérer des aspects plus appropriés aux arts visuels qu’aux autres disciplines.
[3] Entretien avec Chumpon Apisuk réalisé le 14 novembre 2014 au Bangkok Art Culture Center (BACC) à Bangkok.
[4] Parmi eux nous pouvons citer : Wilson Díaz créateur en 1997 du Festival Internacional de Performance de Cali, Colombie ; Chumpon Apisuk est à la tête en 1998 d’ASIATOPIA à Bangkok ; à la même époque au Chili, Gonzalo Rabanal créée Deformes ; en 2011 est apparu le Mois de l’art de performance à Berlin ; et très récemment en décembre 2012 a eu lieu à Venise la première édition de la Semaine internationale du Performance,.
[5] Sans être exhaustifs et d’une manière chronologique nous pouvons citer, la création de International Performance Art Festival (PIPAF) à la tête de Yuan Mor’O Ocampo à Manille en 1999 et en 2003, TUPADA, organisé par Ronaldo Ruiz également aux Philippines. En 1999 surgit l’ Open Art Platform en Beijing et puis, en 2000 apparaisse le Taiwan International Performance Art Festival (TIPAF) crée par Wang Mo-Lin. A cette même période, font irruption différents festivals de performance à Corée du Sud : Bucheon International Performance Art Festival (BIPAF), Gimcheon International Performance Art Festival (GIPAF) y One Day Performance Art Festival. A Jakarta, l’une des scènes le plus dynamyques de la région, différentes propositions ont lieu : le grand artiste Arahmaiani, organise en 2000 le Jakarta International Performance Art Festival. En 2005, les artistes Lew Kungyu y Ray Langenbach proposent Satu Kali. Néanmoins, l’une des expériences le plus riches dans ce pays, est la proposition entamée par Iwan Wijono avec Perfurbance Festival crée en 2005 et qui se base sur une praxis socioculturelles expérimental en rapport absolu avec le tissu urbain.